Ce mercredi 8 février sort à l’écran en France le film « Silence » du grand réalisateur américain Martin Scorsese. Ce film d’une très haute qualité cinématographique raconte la mission de deux prêtres jésuites portugais dans le Japon du milieu du XVIIème où se déchainent les persécutions contre l’Eglise catholique. Un film fort et dur, empreint de spiritualité, qui plonge le spectateur au cœur du mystère de la foi et de la confrontation au mal. Cet article Silence, de Scorsese : la vocation à l’épreuve du mal.
Cette fiction inspirée du roman « Silence » de l’écrivain japonais Shûsaku Endo, basé sur des faits réels, met en lumière le contexte historique du Japon qui, pendant près de trois siècles, s’est fermé à toute influence extérieure. C’est un film très intéressant car il ouvre sur de nombreuses questions et pourra nourrir de fructueux débats autour de l’aventure de la foi aux prises avec les combats et de la difficulté du chemin spirituel confronté au réel des épreuves. Cette œuvre maîtresse est celle d’un réalisateur travaillé en profondeur par la question spirituelle. Scorsese, américain d’origine italienne, a grandi dans un catholicisme fervent qui a façonné son adolescence, il a même fait un an de petit séminaire. Puis il s’est éloigné de la pratique en embrassant la vocation de cinéaste, sans rejeter pour autant l’interrogation spirituelle. Ce film auquel il a travaillé pendant 20 ans est ainsi profondément personnel et traduit d’abord en grande partie sa quête existentielle et spirituelle.
Car cette fresque narrative explore la profondeur de la foi en son essence et le cœur du mystère de l’homme en relation avec Dieu et aux prises avec le mal, le doute et le péché. En ce sens, ce film nous parle éminemment de la vocation humaine, de la vocation baptismale, de la vocation de prêtre et religieux qui se déploient dans un itinéraire profondément incarné, façonné par les événements et les rencontres, les instants de grâce et les moments de souffrance ou de désolation. Ce film, très épuré, à travers une maîtrise remarquable de la lumière et des prises de vue, nous fait passer de la beauté des paysages grandioses au sordide sombre des scènes d’emprisonnement et de persécutions. Il nous place par-là devant l’extrême de la vie confrontée aux forces puissantes du mal et de la mort. Et explore ce que cela suscite dans des personnages affrontés à des choix difficiles et complexes. De ce fait « Silence » nous donne à voir combien la vie n’est jamais en noir ou blanc, et combien le discernement moral et spirituel en situation concrète vient bousculer et mettre à mal les grands idéaux ou élans initiaux.
L’itinéraire vocationnel de deux missionnaires jésuites…
Ainsi, il est particulièrement intéressant de percevoir l’itinéraire vocationnel des deux personnages principaux, les missionnaires jésuites Père Rodriguès et Père Garupe, magnifiquement interprétés par Andrew Gardfield et Adam Driver – Gardfield pour se préparer à son rôle a d’ailleurs fait les Exercices spirituels de Saint-Ignace et a été conseillé par le jésuite américain Père James Martin, assistant de Scorcese pendant tout le tournage. On y découvre l’importance de leur « mentor » Père Ferreira, leur professeur et formateur, véritable « figure de référence » sur leur chemin vocationnel qui leur a inspiré la décision d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Puis ce que « la chute » de Ferreira provoque en eux quand ils apprennent qu’il aurait abjuré sa foi sous la torture. Tout feu tout flamme, dans un élan missionnaire non dépourvu d’ambiguïtés, ils convainquent leur supérieur de les laisser partir au Japon à la recherche de Ferreira dans l’espoir de le remettre sur le droit chemin de la foi.
Démarre alors une aventure bien différente de celle dont ils avaient pu rêver. L’aventure d’un chemin vocationnel toujours plus incarné dans les méandres d’une réalité bien autre que l’imaginaire idéalisé parce que pétrie de la complexité des êtres et des situations. Une réalité qui les confronte à leurs faiblesses et à leurs doutes, une réalité traversée par la force du mal et son cynisme symbolisé en particulier par le personnage redoutable du vieux Samouraï Inoue mettant son intelligence au service de la destruction de l’Eglise en croyant servir son pays. Confronté alors aux questions les plus fondamentales, aux interrogations sans réponses simples ni immédiates, le Père Rogrigues chemine et s’humanise aussi, dans le jeu des relations avec ces « chrétiens cachés », villageois simples qui reçoivent ces prêtres comme un don du ciel. Eux-mêmes comme baptisés seront confrontés à la question cruciale de la fidélité à leur vocation de chrétiens, alors que tout les pousse à apostasier pour sauver leur vie. Nulle réponse magique ou unanime – chacun des deux prêtres Rodrigues et Garupe, pourtant si frères et complices, aura un itinéraire différent – celle-ci s’élabore dans le creuset le plus intime de la conscience et de sa liberté.
… qui invite le spectateur à une interprétation personnelle
Le film laisse le spectateur libre d’interpréter ce qui se passe réellement dans le cœur du P. Rodrigues. En effet, celui-ci, tout en ayant extérieurement apostasié et renié sa vocation de prêtre jésuite – sous la pression et la torture abominable infligée à ses villageois, il s’est marié avec une japonaise – sera enterré avec une croix dans les mains. Etait-ce la voix du Christ qui l’avait invité à effectuer ce geste de fouler au pied l’image du Crucifié ou celle de l’Ennemi quand il entendait « Avance à présent. Ce n’est rien. Foule-moi aux pieds. Je comprends ta douleur. Je suis venu au monde pour partager celle des hommes ». Le débat est ouvert… Discerner l’appel de Dieu est un long et délicat processus d’interprétation qui se déroule dans un dialogue personnel avec le Seigneur mais qui demande aussi la médiation et le soutien de l’Eglise.
Ce film ne laissera pas indifférent et il pourra venir travailler intérieurement le spectateur pendant plusieurs jours. Il sera bon d’être attentifs aux mouvements intérieurs suscités par ce récit et ses images, et d’avoir l’occasion d’en parler avec d’autres. Alors n’hésitez pas à creuser les questions que ce film ouvre en vous appuyant sur les dossiers réalisés par les jésuites de France et la société Saje production – riches de pistes de réflexion et d’éléments historiques.
Sr Nathalie Becquart, Xavière, Directrice du SNEJV