Un temps de prière pour la paix est faite à tous les diocèses à l’occasion du 11 novembre, anniversaire de l’Armistice etfête de St Martin, patron secondaire de la France, élaboré par le Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS) et le Diocèse aux Armées françaises. Son évêque, Mgr Ravel, redonne l’esprit de cette initiative. Par Chantal Joly.
Vous avez écrit : « C’est une occasion privilégiée pour que chrétiens et autorités civiles […] se rejoignent dans la mémoire de leurs aînés ». C’est un appel à « l’Union sacrée » ?
C’est, en effet, un service d’unité qui sous-tend cette proposition, une action de mémoire destinée à réunir tout le monde dans un climat pacifié. Souvenons-nous que les soldats de 14-18 dont l’immense majorité était catholique –même si des musulmans d’Afrique qui furent appelés « la force noire » sont venus mourir sur le sol français- partaient se battre « pour Dieu et pour la patrie » ! Il faut en finir avec une laïcité de séparation et penser désormais la laïcité de façon positive. Je ne suis pas contre la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat qui avait tout son sens pour permettre une indépendance. Mais le mot « séparation », interprété par les élites et les citoyens comme pour un divorce, conduit chacun à vivre sa propre vie. Qu’on ne s’étonne pas ensuite qu’il y ait du communautarisme !
Cette séparation est d’autant plus insupportable dans un contexte de tensions intérieures fortes. Car que ce soit dans le monde militaire et en dehors, on sent une réelle inquiétude quant à notre unité nationale. La montée des corporatismes, le fait que des quartiers entiers risquent d’échapper à la loi républicaine, l’accueil des migrants qui coïncide avec la lutte contre le terrorisme, tout cela crée une angoisse. Alors faisons converger les forces saines de ce pays et arrêtons de dire que nous devons nous situer en parallèle, comme sur des rails. Cette commémoration est un terrain facile pour rassembler des énergies politiques, y compris locales ; mais aussi économiques, artistiques ET religieuses.
Justement, dans votre proposition de célébration, vous suggérez que ce temps de prière ait lieu non seulement dans chaque paroisse, mais dans chaque église. Pourquoi ?
Les maires des petites communes sont très partenaires de cette initiative. Ce sont en général des personnes plus réalistes et plus près du terrain. L’unité nationale est à reprendre par la base et non par la tête. Outre les messes qui seront célébrées pour les morts de toutes nos guerres, nous avons fourni des outils pour des laïcs de bonne volonté, là où il n’y a plus de prêtre. On peut également très bien imaginer une liturgie de la parole menée autour du monument aux morts.
Je rejoins le pape François sur le fait que nous, chrétiens, ne devons pas être égocentrés. Dans la mesure où nous croyons que Dieu intervient dans notre histoire, la mémoire du christianisme est à entendre comme la mémoire du monde. L’Eglise n’est pas faite pour s’auto-porter mais pour porter le monde.
Vous inscrivez cette prière pour la paix comme œuvre de Miséricorde. Comment cette Année jubilaire s’est-elle vécue dans le diocèse aux Armées ?
Dans la mesure où nous sommes trans-territoriaux et que notre milieu de vie est professionnel, le Jubilé de la Miséricorde n’a pas pu se vivre comme ailleurs. Un petit fascicule très didactique a été distribué aux soldats. Beaucoup se sont rendus par ailleurs à des rassemblements à Rome ou bien à l’intérieur de leurs diocèses d’origine ou d’affectation. Ce n’est pas la géographie qui est importante. J’ai autorisé notamment les aumôniers à ouvrir des Portes saintes symboliques, dans le cadre des opérations extérieures, même dans les bateaux, un peu comme ce qui s’est fait dans les prisons.
Nous commémorons le centenaire de la Grande Guerre. Les communautés chrétiennes qui vont prier le 11 novembre pour la paix vous semblent-elles suffisamment concernées par les conflits contemporains ?
Je ne suis pas certain que tout le monde ait pris conscience du fait que certains pays sont assiégés, bombardés et que tout cela nous arrive par ondes de choc.
On parle beaucoup en France de sécurité, mais ce n’est pas le bon mot. Le pape François a raison lorsqu’il parle de « troisième Guerre mondiale livrée par morceaux ». Une guerre contre des adversaires très puissants et « abreuvés » de l’argent de la drogue. La situation internationale se gonfle d’incertitudes. L’Europe est au bord de l’éclatement. L’Afrique va mal. On assiste à un réarmement comme jamais depuis la Guerre froide. Face à cela, je ne suis pas désespéré mais j’invite à ne pas trop nous calfeutrer sur nos intérêts. En 1980, Jean-Paul II avait apostrophé la France, « fille aînée de l’Eglise, éducatrice des peuples ». Il appartient à notre identité nationale d’avoir un regard large sur le monde. Nous pouvons moins que les autres nations nous en désintéresser. En 2014, à Compiègne, dans le cadre des commémorations de 14-18, j’avais donné à la demande de l’évêque de Beauvais, Mgr Jacques Benoit-Gonnin, une conférence : « A travers la vision chrétienne de l’Histoire, retrouver les sources de la paix pour aujourd’hui, sous l’angle interreligieux ». Je crois que cette mémoire peut nous aider à réparer nos fractures sociales et à construire une nouvelle solidarité.
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