Après deux ans d’enquête, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Roeun a cloturé la phase diocèsaine du procès de béatification du père Jacques Hamel. Le dossier de plus de 11 000 pages sera envoyé dans les prochaines semaines à Rome. La congrégation pour la cause des saints examinera le dossier et examinera le martyre ou non du père Hamel en vue d’une béatification.
Aleteia a rencontré le Père Paul Vigoureux, prêtre du diocèse de Rouen et postulateur (directeur de l’enquête diocèsaine)
Vous avez mené l’enquête diocésaine concernant le père Jacques Hamel. Elle s’achève ce 9 mars. Quelles sont les informations les plus importantes que vous avez pu rassembler à propos du père Hamel ?
Père Paul Vigouroux : Je ne peux rien dire du contenu du dossier parce que nous avons promis de garder le secret sur tout ce qu’il contient durant l’instruction du procès en béatification mené dans le diocèse. En revanche, ce que je peux vous dire, c’est que nous avons les quatre éléments nécessaires dans le dossier pour déclarer un martyr. En ce sens, les auditions des témoins directs ont été déterminantes. Ils étaient présents, ils ont tout entendu, ils ont tout vu.
Quels sont précisément ces quatre éléments ?
Le premier, c’était de confirmer que la mort du père Hamel a bien été violente. Le deuxième point consistait à vérifier si l’intention des assassins était nourrie par la haine envers la foi chrétienne, s’ils ont eu l’intention délibérée de s’en prendre à un prêtre, s’ils ont eu des propos contre l’Église ou des gestes violents comme celui de casser intentionnellement des objets de culte. Le troisième élément concerne la manière de mourir. Est-ce que le père Hamel s’est débattu ? Est-ce qu’il a résisté ou au contraire, comme le Christ sur la Croix — s’est-il laissé conduire ? Nous nous sommes aperçus qu’avec la mort du père Hamel nous étions un peu dans la même logique que celle de sa propre vie : une vie donnée. En ce sens il y a une ressemblance avec le Christ. Le quatrième et dernier élément, c’est la réputation de sainteté, le sensus fidei du peuple chrétien, en quelque sorte le « flair » des chrétiens. Il fallait répondre à cette question : est-ce que les paroissiens et tous ceux qui l’ont connu, et au-delà du peuple chrétien, ont ce sentiment que le père Hamel est martyr ? Pour cela, nous avons consulté les livres d’or, les mails, le courrier abondant au moment de sa mort. Tout allait dans le sens de confirmer que pour le peuple chrétien, le père Hamel est mort en martyr.
Qu’allez-vous transmettre exactement comme dossier au Vatican ?
Nous allons transmettre tout d’abord les auditions des témoins directs du drame. Mais aussi celles des amis, des paroissiens, des prêtres et bien sûr, chose très importante, les témoignages de son entourage le plus proche, de sa famille. Bien sûr, il y a les homélies : Nous avons pu récupérer un beau volume d’homélies manuscrites du père. Le dossier va contenir également la revue de presse de tous les articles parus à son sujet — une quantité assez conséquente. De même, tous les courriels, les mails et les lettres que nous avons reçus à l’archevêché après sa mort. Enfin nous allons transmettre les livres d’or qui étaient au fond des églises, notamment dans l’église de Bonsecours près de sa tombe ou dans l’église Saint-Étienne-du-Rouvray, là où a eu lieu le drame.
Ses homélies sont essentielles pour dresser son portrait spirituel…
Absolument. Nous allons également transmettre à la Congrégation pour les causes des saints le rapport de plusieurs théologiens. Il y a deux théologiens qui ont scruté toutes les homélies du père Hamel afin de voir s’il n’y avait rien — du point de vue théologique — contre la foi et les mœurs. Cette analyse a permis d’esquisser le portrait spirituel du père Hamel : avec ses messages pastoraux, ses thèmes principaux de réflexion… avec tous ses sujets de prédilection sur lesquels il revenait souvent. Nous avons aussi dans notre dossier le rapport des archivistes qui, en étudiant toutes ses notes, toutes ses homélies, ses lettres ou mails, ont pu décrire la façon de travailler du père Hamel.
Y a-t-il des choses qui vous ont surpris, d’autres qui vous ont ému ?
Ce qui ressort, c’est le portrait d’un prêtre simple et ordinaire. Un homme qui ne faisait pas de bruit et qui essayait de vivre simplement l’Évangile. Ce qui me frappe, c’est son humilité, une certaine pauvreté, la charité envers ceux qu’il rencontrait. Il essayait de prêcher l’Évangile simplement, en le vivant simplement. Il n’était pas un homme médiatique, il ne cherchait pas à attirer la lumière sur lui. Il n’a pas écrit de livre brillant. Il était juste un prêtre de périphérie de grande ville qui donnait sa vie parce qu’il aimait Jésus, comme le font tant de prêtres.
Avait-il des défauts ?
Il se mettait parfois en colère parce qu’il voulait que les choses soient bien faites. Mais ce qui est frappant et émouvant, c’est sa vie très simple et très heureuse. Parce qu’il était un homme qui cherchait à aider les autres. Un homme qui a mené une vie réellement heureuse. Dans notre monde, on croit que le bonheur, c’est d’accumuler les choses, alors que le père Hamel était plutôt dépossédé de biens matériels. Ils n’étaient pas son centre d’intérêt. Il s’en fichait complètement. Son cœur était ailleurs. Son cœur était pour aimer. Il savait que le bonheur c’est l’amour. Un amour assez universel. Il aidait tous ceux qu’il rencontrait. C’était au centre de sa vie.
Quelles sont ses pensées ou ses paroles qui vous ont le plus frappé ?
« Se convertir pour aimer » : Chez lui, le thème de la conversion du cœur est très présent. Le mot « aimer » revient tout le temps dans ses écrits.
Comment réagissent les paroissiens du père Hamel à cette procédure de béatification ?
La nouvelle leur a fait du bien, après le choc, la douleur et le drame qu’ils ont vécus. Mais ce qui est déjà très apaisant pour ses paroissiens c’est que ce drame n’a pas entraîné de haine. Je pense que c’est le fruit du ministère du père Hamel. Sa mort n’a pas provoqué de dérapage. Ni du côté de l’Église ni du côté de l’État, ni du côté des paroissiens. Personne n’a appelé à la vengeance. À Saint-Étienne-du-Rouvray et à Rouen, un mouvement d’unité s’est créé entre les chrétiens et les musulmans. Cette amitié s’est renforcée du martyr du Père Hamel.
Est-il possible de dire s’il y a un bienfait né du martyr du père Hamel ?
Il est surprenant de voir comment la figure de père Hamel parle aux jeunes prêtres et aux séminaristes. Il est nettement d’une autre génération, et pourtant son exemple leur parle. Je suis frappé de voir des prêtres et des séminaristes qui viennent ici en pèlerinage. Ils parlent ainsi du père Hamel : ils le décrivent comme une belle figure de vie, celle d’un prêtre qui aimait Jésus. Cela m’a personnellement surpris.
Comme l’expliquez-vous ?
La figure du père Hamel symbolise un chemin de sainteté qui leur parle. Il y a chez les jeunes ce désir de sainteté, l’idéal d’avoir une vie simple dans l’amour de Jésus. Je pense que c’est lié à notre époque où les querelles de sensibilités ecclésiales sont dépassées. Ce qui compte aujourd’hui, c’est l’exemple de prêtres simples qui aiment Jésus et qui veulent le suivre. Il y a un besoin de cette fraternité simple des prêtres.
Avez-vous l’espoir que le père Hamel soit béatifié ? Le Pape a dit lui-même qu’il prie pour sa béatification…
Nous avons travaillé le dossier en vérité. Une fois qu’il sera transmis, le sujet ne nous appartient plus. Je ne connais pas les critères précis de la Congrégation pontificale pour les causes des saints, mais je pense que nous avons fait notre travail sérieusement et correctement. Je pense surtout que les documents montrent de façon assez complète la vie du père Hamel avec tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il a fait. Dans le mois qui vient, toute la documentation va être envoyée au Vatican. Dans un premier temps, la congrégation va vérifier s’il n’y a pas eu d’erreurs de procédure. Ensuite, toute la documentation va être lue, puis elle sera analysée pour aboutir à une synthèse appelée Positio. Je ne sais pas combien de temps cette procédure de béatification va prendre. J’imagine que toutes les béatifications sont quelque part un peu politiques. La béatification du père Hamel peut être une opportunité comportant une dimension politique.
Pensez-vous que le Pape peut accélérer la procédure concernant le père Hamel ?
Ce n’est pas impossible car nous savons que c’est un sujet qui lui tient à cœur. Mais personnellement, je n’en sais rien. Cela ne nous appartient plus.