Premier aumônier de la France libérée, le père de Naurois fait partie des 176 Français qui débarquent en Normandie le 6 juin 1944. Il incarna à lui seul les quatre formes de résistance engagée pendant la Seconde Guerre mondiale : spirituelle, politique, civile et militaire.
À l’occasion du soixante-quinzième anniversaire du Débarquement, il est d’usage de se souvenir de ceux qui ont exposé leurs vies pour la libération de la patrie. Cet anniversaire ne se justifie pas seulement par la présence des derniers témoins de cette histoire parmi nous. Il revêt une signification plus grave encore après le sacrifice d’un commandant Beltrame ou celui des deux hommes du commando Hubert, mort au combat au Burkina Faso, en mai dernier. Ce commando porte le nom d’un de leur aîné mort à Ouistreham et dont l’aumônier était le père René de Naurois (1906-2006).
La parole et l’action
De prime abord, à quoi peut bien servir un prêtre sans arme, et qu’il faut donc protéger, dans un commando de fusiliers marins ? L’aumônier militaire apporte aux combattants le soutien spirituel et sacramentel. Il lui arrive aussi, aux côtés de ses compagnons d’armes, de verser son sang pour la défense de la patrie. Le père de Naurois considérait que c’est dans ce service d’aumônier au plus fort de la bataille, à Ouistreham puis en Hollande, en juin puis en novembre 1944, qu’il avait accompli sa mission, mais une mission résistante contre le nazisme, une résistance unissant la parole et l’action, au risque de la vie, et pour la libération de ses compatriotes, dont certains étaient encore en camp de concentration. C’est la raison pour laquelle il a voulu reposer, soixante-deux ans plus tard, aux côtés de ses hommes, au cimetière militaire britannique de Ranville (Calvados).
Les quatre formes de résistance
L’originalité du père de Naurois est d’avoir été en connaissance de cause un résistant conscient et précoce au nazisme en tant que tel et, pour cette raison, d’avoir pu concilier, dans son état sacerdotal, quatre formes de résistance habituellement identifiées par les historiens de la Seconde Guerre mondiale : une résistance spirituelle (conférences sur le nazisme et sur l’antisémitisme), politique (action dans le mouvement Combat de son ami Henri Frenay), civile (opérations de sauvetages des Juifs exposés aux déportations) et militaire, en tant qu’aumônier des « commandos Kieffer ».
Ce cumul des quatre formes de résistance lui a valu plusieurs distinctions. Naurois fut l’un des quelques aumôniers à avoir été fait Compagnon de la Libération (1946). Il reçut par ailleurs la Military Cross du fait de son service dans une unité britannique et la médaille des Justes parmi les nations (1989).
La source intellectuelle
Si l’on veut comprendre l’unité de ces quatre formes d’engagement, c’est à la source intellectuelle que l’on trouvera sa clé de compréhension. Issu d’une vieille famille aristocratique du Sud-Ouest, Naurois entreprit des études scientifiques et une formation militaire qui fit de lui un officier de réserve. Il fut donc soldat avant d’être aumônier militaire. Songeant à la vocation sacerdotale dès l’âge de quatorze ans, il fut ordonné prêtre par Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, en 1936. Son goût pour les questions sociales et la réflexion philosophique l’ont conduit à participer à la fondation de la revue Esprit et à fréquenter de nombreuses personnalités intellectuelles telles qu’Emmanuel Mounier, Gaston Fessard, Paul Nizan, Raymond Aron. Par l’influence de ces derniers, Naurois s’est initié, dès l’entre-deux guerres, à la philosophie hégélienne et au marxisme. Il a probablement médité la dialectique du maître et de l’esclave et la leçon erronée qu’en ont tirée communisme et nazisme.
L’école allemande de la « résistance spirituelle »
Pour beaucoup de personnalités laïques ou ecclésiastiques telles que Robert d’Harcourt, son ami Henri Frenay ou Gaston Fessard, la connaissance de l’Allemagne impliquant la distinction entre nazisme et civilisation germanique avait été un facteur décisif dans l’engagement résistant. Et c’est donc dès 1933, dans l’Allemagne devenue nazie, à l’occasion de plusieurs séjours prolongés chez Heinrich Köhler, ancien ministre de la République de Weimar, qu’il se mit à l’école allemande de la « résistance spirituelle ». Cette expression de « résistance spirituelle » désignait originellement cette fraction de l’Église dite « confessante » ayant refusé le « paragraphe aryen » imposé par Hitler qui excluait les pasteurs d’origine juive de la communion luthérienne.
Par différents contacts et notamment par celui de l’aumônier de la colonie française de Berlin, le père Henri-Jean Omez, il eut connaissance de l’univers concentrationnaire nazi des camps de Dachau et de Sachsenhausen. Naurois adressait à son évêque, Mgr Saliège, des rapports expédiés par la valise diplomatique.
Semences de sacrifice
C’est cette expérience de l’oppression nazie qui devait éclairer, au-delà de la défaite de juin 40, sa détermination à résister aussi bien à Uriage, à Toulouse, dans le mouvement Combat qu’à Londres il finit par rejoindre, non sans une traversée à haut risque de l’Espagne en mars 1943. Rejoignant l’aumônerie militaire de la France libre, il demanda à être rattaché aux commandos Kieffer. Après avoir assisté ses hommes dans le combat et parfois jusque dans la mort au cours des campagnes de Normandie et de Hollande, Naurois consacra plusieurs de ses travaux scientifiques à la question de la guerre juste et à la critique du pacifisme dans le contexte nouveau qui fut celui de la Guerre froide. Marqué par la résistance allemande à Hitler, il écrivait ces lignes qui valent encore pour le temps présent : « Qu’adviendrait-il sur cette terre des traditions de fidélité, d’honneur et de sacrifice s’il ne se trouvait plus d’hommes ou de nations capables de soutenir des luttes désespérées ? Croit-on vraiment que la sanction de la victoire soit indispensable pour que la résistance soit, comme on dit, “payante”, pour qu’elle ait un sens et une efficacité ? Certaines défaites ne déposent-elles pas en ce monde, autant et plus parfois que les victoires, des semences de sacrifice et de grandeur ? »
Source : Aleteia